Bonjour à tous ! Aujourd’hui on se retrouve pour deux autres petits chapitres de mon carnet de vie. Je vous souhaite une bonne lecture.

Ete 1976 - 6 - Maltraitance psychologique et autre...

L’année scolaire est terminée et je profite de mes vacances tandis que ma mère qui a eu son permis travaille en intérim. Depuis qu’elle travaille, ma mère nous a trouvé une nourrice qui nous garde, mon frère et moi, pendant son absence. C’est la femme du cantonnier du village, Monsieur Card*. Je déteste aller chez elle car elle a une fille, Céline, plus petite que moi à qui elle passe tout et qui est une vraie peste. Je reviens souvent de chez la nourrice avec des bleus parce que Céline me frappe avec tout ce qui lui passe sous la main et si j’ai le malheur de le dire à sa mère, cette dernière me punit. Les matins où ma mère est déjà partie travailler, Mme Card* vient me lever. Elle se moque souvent de moi et elle est très brusque. Plus vite je suis prête et plus vite elle peut me ramener chez elle, en face de l’école, où elle me laisse sur une chaise tandis qu’elle fait déjeuner sa fille. Elle ne dit jamais rien à mon frère qui est plus grand et qui se débrouille seul. Les périodes où ma mère ne travaille pas, je vais jouer chez Aline à qui je raconte tous mes malheurs. Cet été là, il fait chaud. C’est l’été 76, celui de la sécheresse. Alors que nous jouons près du lavoir du village, où il y a aussi des ados et des adultes, Aline me révèle que sa mère est aussi nourrice et que si je voulais, elle pourrait lui parler de moi. J’accepte avec joie tandis que de mon côté je m’empresse, le soir même, d’en parler à ma mère qui ne cache pas son incompréhension.

- Mais pourquoi tu ne veux plus aller chez Mme Card* ?

- … Je ne l’aime pas…

- Pourquoi ?

- Le matin quand elle vient me réveiller parce que tu es au travail,
  elle est méchante.

- Comment ça méchante ?

- Elle fait vite et …

- Ce n’est pas être méchante, ça…

- Non, mais…

- Ecoute, me coupe ma mère énervée, de toute façon je n’ai pas le choix.
  Je dois travailler. Et c’est la seule personne que j’ai trouvé pour s’occuper  de toi. Alors, pour l’instant, tu fais ce qu’on te dit et tout se passera bien.

Sur le coup, je ne réponds pas. Ma mère est fatiguée par sa journée et ne comprend pas à quel point je suis malheureuse. Elle doit probablement penser que j’exagère, surtout que mon frère ne dit rien pour m’aider alors qu’il voit tout. Le lendemain, je retrouve Aline, à qui j’explique que pour l’instant ma mère n’est pas d’accord et que pour elle, Mme Card* n’est pas méchante. Tandis qu’Aline me répond que sa mère ne fait jamais tout ce que je subis chez ma nourrice, je prends conscience que ma vie est décidément très différente des autres enfants et que je n’ai pas de chance. J’ai la poisse, comme dit mon père, et franchement je m’en serais bien passé ! Les vacances passent à une vitesse folle et septembre est là.

Septembre 1976 - 7 - Je n'entends pas la différence...

Le jour de la rentrée, je suis seule car ma mère travaille. C’est mon père en tenue de gendarme qui m’amène à l’école jusque dans la cours de récréation. Je remarque tout de suite que l’uniforme provoque un certain respect et une crainte des autres enfants. Ils me regardent différemment. De mon côté, je profite de ce cours moment de confiance en moi pour les regarder en face, histoire de leur faire comprendre qu’il vaut mieux ne pas m’embêter. De loin, je vois mon amie Aline et me place à ses côtés. J’espère ne plus être avec Mlle Hervette. Mon espoir s’effondre quand pendant l’appel, elle dit mon nom. Je dis au revoir à mon père et me dirige dans la file avec les autres élèves. Je suis anéantie. Une autre année de calvaire s’annonce. Cette année, je suis en CP. Je vais apprendre à lire et à écrire. Comme l’année précédente, j’attends que l’institutrice nous place. Nous faisons un dessin représentatif de nos vacances pendant qu’elle explique aux maternelles ce qu’elle attend d’eux. Je suis devant près du tableau tandis que mon amie Aline est derrière moi. Quand l’institutrice revient vers nous, elle ramasse nos dessins et nous distribuent des cahiers classés par couleur, Français, Mathématiques, Poésie, Histoire et Géographie, dessin etc… Tous les matins, je vais à l’école avec la boule au ventre. Tous les matins, j’ai peur de ce qu’il va me tomber dessus au cours de la journée. Tous les matins, Mme Card* vient me réveiller et me lever parce que ma mère travaille. J’ai l’impression que mon enfer n’aura jamais de fin. En classe, je ne comprends pas les lettres. Je ne vois pas la différence entre en un A, un C ou un I. Un soir, je rentre en pleurant car j’ai une punition à faire pour ne pas avoir su écrire des sons que la maitresse avait dictés. Je dois recopier 20 fois tous les sons pour le lendemain. Ma mère tombe des nues en comprenant mes difficultés. Après le diner, elle me fait venir près d’elle dans la salle à manger.

- Explique-moi ce que tu ne comprends pas exactement.

- Hé bien… Comment on lit un mot avec les lettres.

- Va me chercher ton cahier.

Une fois le cahier en mains, elle me demande de lui réciter l’alphabet, ce que je fais sans me tromper. Puis elle me montre des lettres et me demande de les citer. Je pointe les lettres avec mon doigt et les dis. Ensuite, elle me demande d’épeler les sons « Beu », « Ba », « Mi », « Ru ». Un grand silence désespéré lui répond.

- Tu connais ton alphabet, donc tu connais les lettres. Qu’est-ce que
   tu ne comprends pas dans les sons ?

- ….

- Tu les entends dans ta tête au moins ?

- Comment ça ?

- Eh bien, le son « Beu » est différent du son « Ba ». Le premier est un
   son « Eu » et s’écrit avec la voyelle « E », le second un son « A » et
   s’écrit donc avec la voyelle « A ».

-  ????

- Bon, je vois que tu ne comprends pas…. C’est pourtant simple…
   Tu connais tes voyelles et tes consonnes…

- C’est quoi la différence entre les voyelles et les consonnes ?

Ma mère me regarde étonnée. Elle feuillète mon cahier et me montre deux tableaux. Le premier avec 5 lettres plus une et un second tableau avec plein d’autres lettres. Voyant mon incompréhension elle me demande quelles sont les voyelles. Je lui réponds que je ne sais pas de quoi elle parle.

- Mais la maitresse a dû vous dire en classe que A,E,I,O,U étaient
  des voyelles et que les autres étaient des consonnes ?

- Euh…je ne sais pas, je n’entends pas bien ce qu’elle dit...

- ... Et tu lui as dit ?

- Oh non, sinon elle fera comme l’année dernière, elle me tirera par
   l’oreille, me criera dedans avant de me punir au piquet.

- Elle t’a punie ? Mais tu ne me l’as jamais dit !

- Elle m’avait dit de ne rien dire sinon elle vous dirait que je lui avais
   manqué de respect et vous m’auriez puni…

- ...

Ma mère reste silencieuse quelques instants. Visiblement surprise, elle ne sait pas comment réagir.

- Bon, eh bien, je vais t’aider. Je vais t’expliquer comment on lit.

- Tu vois ce premier tableau avec a,e,i,o,u et y ? C’est ce qu’on
  appelle des voyelles. Ce sont elles qui aident à donner un son
  à un mot. Le second tableau regroupe les consonnes, donc
  toutes les autres lettres de l’alphabet. Pour faire un son, tu
  dois avoir une consonne et une voyelle. Exemple : B et A font
  BA. La lettre consonne B avec la lettre voyelle A à côté donne le
  son BA. B et I donne BI. Donc P etA, ça donne quoi ?

- … DA ?

- Mais non chérie…

- Maman, comment tu fais pour entendre la différence entre une voyelle
  et une consonne ?

- entendre ?

- Bah oui… je n’entends pas la différence…

Ma mère se rapproche de moi, visiblement désarmée par ma réponse. Après quelques instants, elle se place en face de moi. Elle commence par me faire dire des Aaah, des Uuuh, Iiih et des Oooh et m’explique que toutes les voyelles dites seules se disent sans que les lèvres ne se touchent. Je répète les voyelles et remarque, en effet que mes lèvres ne se touchent pas.  Puis, elle divise les consonnes en groupes et me fait remarquer en les prononçant que mes lèvres se touchent, mes dents du haut viennent toucher ma lèvre inférieure, ou que ma langue vient toucher mes dents du haut etc… Toutes les lettres y passent. Puis elle m’explique qu’une lettre où mes lèvres ou ma langue se touchent couplée avec une voyelle où rien ne se touchent forment un son englobant un mouvement de lèvres. C’est comme ça que je comprends la différence entre les voyelles et les consonnes, grâce à ma mère, sa patience et à son amour infini pour moi. Je mets quand même quelques soirées pour réussir à intégrer mes premiers sons. Je me sens moins nulle à l’école même si j’y vais toujours la boule au ventre. Je vois arriver les vacances de la Toussaint avec soulagement. Mais je dois passer mes journées chez Mme Card* à rester assise sur une chaise la plupart du temps et à subir ses méchancetés. Nous n’avons qu’une semaine de vacances que ma mère met à profit pour m’avancer dans mon livre de lecture. Chaque soir, elle prend un nouveau son et m’aide à le comprendre et à l’écrire. Elle m’apprend aussi des mots en rapport avec chaque leçon. Quand la rentrée arrive, j’ai bien assimilé le principe de la lecture et j’ai aussi amélioré mon écriture. Me reste plus que les mathématiques qui me posent aussi problème ne comprenant jamais les explications de Mlle Hervette.

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